14 mai 1940: cinquième jour de guerre:

Le mardi 14 mai, vers 3h du matin, à la demande du Fort de Pontisse, la coupole de 150 effectue un tir de destruction sur la ferme Thiry. Le tir est réglé par un observateur de Pontisse et est suspendu à l’intervention de celui-ci, après de nombreux coups au but.

Dès l’aube nous sommes à nouveau pris sous le feu de batteries ennemies. Ces tirs très précis mettent à mal la rampe d’accès et créent de nombreux entonnoirs dans les fossés et sur le massif. Vers 7h du matin, le calme revient… A tel point que les cuisiniers peuvent accéder à la cuisine de contre-escarpe pour y faire du café. Cette accalmie nous permet de nous rendre compte des dégâts que nous venons de subir.

De nombreux civils parcourent la campagne, vêtus pour la plupart d’une façon uniforme et portant de légers sacs blancs sur le dos. Ils paraissent suspects : on les voit se baisser, parcourir quelques dizaines de mètres, s’arrêter près des cadavres et se baisser à nouveau. Mais, à distance, on ne peut préciser à quelle besogne ils se livrent. Deux d’entre eux pénètrent dans la baraque du terrain de football. On en voit sortir quatre ! On hésite. Peut-être sont-ce des évacués qui profitent d’une accalmie pour venir reprendre des objets abandonnés. Une demi-heure plus tard, de cette même baraque part un feu de mitrailleuses contre l’emplacement des MiCAs au moment où une équipe de remplacement, toujours sous le commandement du Mdl Ory, s’y rend. La tour d’air signale l’objectif et la coupole 75 du saillant IV intervient immédiatement. La baraque est détruite et incendiée et, de la tour, on entend le crépitement des balles qui éclatent dans l’incendie. Du POC, on voit voler en l’air les planches de la baraque. Dès cet instant, on n’aperçoit plus aucun mouvement dans la campagne. Au moment où ces incidents se déroulaient, se dévoile une pièce de petit calibre que l’ennemi avait réussi à installer près du terril du Xhorré. Elle prend sous son feu les coupoles dès qu’elles se soulèvent et notamment celle du saillant I. Contre battue, la pièce ennemie disparaît…

Vers 8h du matin, le Brigadier MOREAU, un des observateurs de « Toutes voies », PO dont on était sans nouvelles depuis la veille, rejoint le PO du Xhorré. Il est rappelé au Fort pour concourir au service du POC. Vers la même heure, la coupole de 150 reçoit l’ordre de bombarder la citadelle qui, d’après des renseignements reçus de l’état-major du régiment, est occupée en force par l’ennemi. Quelques soldats du 12ème de Ligne qui peu avant étaient passés par le Fort et tentaient de rejoindre l’armée de campagne, nous avaient également donné ce renseignement. Après cette mission, la 150 reprend ses tirs d’interdiction sur les débouchés de Tongres.

Vers 9h la tour signale le passage de 33 avions volant à faible altitude, qui se dirigent vers le champ d’aviation de Bierset, suivis ; peu après, par 27 autres qui se dirigent vers l’ancien aérodrome d’Ans. Ces deux aérodromes sont pris sous le feu de nos grosses coupoles.

Les MiCAs sont à nouveau prises sons le feu de l’ennemi, provenant, entres autres, de la centrale électrique. Il est alors décidé d’abandonner définitivement cette position et de laisser sur place le matériel qui sera repris à la nuit suivante. Le Mdl Ory, qui s’est particulièrement distingué, sera affecté à la défense de la tour d’air après avoir pris un repos bien mérité.

Vers 9h30, un coup de téléphone de « Toutes Voies » nous signale la présence de Wéry, un des soldats TS de cet observatoire. Mais dans la suite on n’aura plus aucune nouvelle de lui. A cette heure également la 150 déclenche un tir d’interdiction sur le pont de Tilff. Ce tir est observé par le PO d’Avister (Boncelles). Il est très efficace et cesse sur ordre du Major.

Vers 10h, un léger incident se produit à la tour d’air. Un incendie se déclare dans les butins des hommes de service à la tour, butins déposés au pied de l’échelle. Nous cessons de ventiler pendant une demi-heure. Au début de l’après-midi, nous intervenons avec la 105 au profit du Fort de Boncelles qui nous demande un tir sur une batterie ennemie. Nous avions entre temps effectué un tir de réglage sur un but auxiliaire .A.557, le château d’Avionpuits, tir observé par le PO d’Avister. Vers 14 heures la tour d’air signale de nouveaux atterrissages d’avions ennemis sur les aérodromes de Bierset et d’Ans. Toutes les coupoles du Fort entrent en action sur l’aérodrome de Bierset pendant une demi-heure, à raison de 1 coup / minute pour la 105, 1 coup toutes les 2 minutes pour la 150 et 100 coups pour les coupoles de 75. Puis le tir est reporté sur l’aérodrome d’Ans. On voit de la tour un bombardier tomber en flammes sur Ans. A la suite de ces tirs, le Fort est violemment bombardé par l’aviation ennemie.

Nos reconnaissances nous signalent un état-major ennemi dans le château de Lexhy. Cet objectif est pris sous le feu de la coupole de 105. Une épaisse colonne de fumée s’élève dans cette direction.

La tour signale des avions ennemis semblant atterrir dans la direction de « l’Arbre à la Croix ». La 105 tire sur l’emplacement probable de l’atterrissage. On procède ensuite, à l’aide de la 105, à des tirs sur des emplacements présumés de batteries tirant sur le Fort, d’abord à la lisière du « Bois des Moines » et ensuite à Rengissart. Puis à la demande de l’observatoire O.344, la coupole de 105 intervient sur une colonne motorisée à Dolembreux.

Dans l’après-midi on tire également sur le carrefour de « l’Air Pur » à Beaufays, où se trouve une colonne de camions ennemis. La coupole de 150 entre également en action et tire sur le carrefour de « Les Oies » également près du carrefour de Beaufays. L’Etat-Major de régiment signale des cyclistes ennemis aux débouchés du pont d’Engis. Une coupole de 75 ouvre le feu sur eux et les disperse. Ce tir est observé par l’observatoire de Chockier (OP226). Entre temps le Fort essuie le feu de l’artillerie ennemie de gros calibre de même qu’un violent bombardement par avions qui dure une demi-heure. C’est le deuxième bombardement du Fort par avions.

Toute l’après-midi, les chefs de coupoles des saillants III et IV tirent d’initiative sur de nombreux objectifs situés entre le terril du Champ (terril du Champ d’Oiseaux ? ndlr) et la centrale électrique. Une courte accalmie nous permet de constater les dégâts occasionnés par les bombardements que nous avons subis cet après-midi. Le corps de garde de guerre est fortement fissuré, son embrasure est complètement masquée par des blocs de béton. On est contraint de l’évacuer. Les coffres du front de gorge sont également lézardés et de gros éboulis de terre et de béton obstruent les fossés à cet endroit. Le flanquement des fossés de gorge est devenu impossible sauf en direction du saillant I. Toute tentative de dégager les embrasures a été vaine en raison des tirs ennemis. Le flanquement des autres fossés par les coffres de tête est également rendu difficile.

Local des douches, éventré par les bombes ennemies.

Vers 20h, le Colonel compte établir son PC à l’infirmerie du Xhorré. Au moment où il va quitter le Fort, le bombardement par artillerie reprend et le force à remettre sa décision à plus tard.

Pendant toute l’après-midi, les Mi de la coupole MiLg ont tiré d’initiative sur les Trixhes et ses environs où l’ennemi manifestait une certaine activité. Sur renseignements fournis par nos reconnaissances, nous intervenons de 20 à 21h avec la coupole de 105 sur 3 carrefours de l’agglomération de Xhendremael et sur Velroux et Otrange. Puis l’Etat-Major du Régiment demande de reprendre, toujours avec la 150, les tirs d’interdiction sur les débouchés sud et sud-ouest de Tongres (5 débouchés) et sur Odeur (3 débouchés).

Le PO de « Terres Rouges » reçoit l’ordre d’abandonner son poste la nuit et de le réoccuper au lever du jour. Le PO de Chockier dont on était sans nouvelles depuis les tirs sur les débouchés du pont d’Engis, nous informe qu’il avait été chassé par l’ennemi mais qu’il a réoccupé son emplacement ce soir. Tout son matériel a disparu sauf l’appareil téléphonique que les observateurs avaient pu emporter. Ce fut la dernière communication qui nous parvint de Chockier.

Vers 21h25, au moment où l’Adjudant PAULET était de ronde dans les coffres, les servants du saillant II aperçoivent dans le fossé I-II une trentaine d’hommes porteurs de ballots blancs. Ce sont probablement des parachutistes ennemis. Aidé du soldat DELCOMMUNE, l’Adjudant PAULET ouvre le feu avec un FM : les allemands répondent avec des tirs de mitraillettes dans les embrasures. Sur ordre de l’Adjudant Paulet, tous les FM des coffres entrent alors en action suivant les possibilités et déclenchent pendant une quinzaine de minutes des tirs systématiques. A l’issue de ceux-ci le calme est rétabli dans les fossés.

Dans la nuit, la coupole de 150 interviendra pour les deux dernières fois, l’une sur un dépôt de munitions situé à Fexhe-Slins et l’autre sur un cantonnement de troupes à Villers-le-Bouillet. La surveillance de nuit restera particulièrement vigilante, assurée par les coffres et par des guetteurs armés de FM installés sur le massif. A la demande de ces derniers un tir de boîtes à balles fut effectué sur le front III-IV par les deux coupoles des saillants. Puis le reste de la nuit se passa dans le calme…

Sources : Récit du "Fort de Flémalle"

Nous vous invitons à visiter le Fort de Flémalle et à visiter son site internet Le Site du Fort de Flémalle.