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Fort de Flémalle:
15 mai 1940: sixième jour de guerre:
Le mercredi 15 mai débute sans le moindre incident. De la tour on ne signale aucune activité de l’ennemi. Pas une âme qui vive ou du moins qui se montre dans la campagne environnante. Toutefois, vers 7h30, 2 motocyclistes allemands qui descendaient de Mons vers la centrale électrique sont abattus par le saillant IV. Quelques instants plus tard on apercevait un camion qui venait des Cahottes. Il disparaît par moments, puis remonte vers Mons par la centrale. Arrivé à un coude de la route, point précédemment repéré, il s’arrête. Il est immédiatement accueilli à coups de canon par le Saillant IV. C’était un camion chargé de munitions et d’essence. Pendant une demi-heure il flambe, et les munitions explosent.
De 10 à 13 heures, le Fort subit son troisième bombardement aérien. Il est effectué par des escadrilles de 9 appareils opérant par groupes de 3. Ces avions venaient de la direction de Mons et piquaient sur le fort jusqu’à une trentaine de mètres de hauteur. Le bombardement s’effectue avec des bombes de moyen calibre et des bombes incendiaires. Ces dernières donnaient naissance à des flammes d’une dizaine de mètres de hauteur. Les premières bombes sont tombées du côté de l’infirmerie et sur le saillant IV. Les avions ennemis lancent alors un chapelet de bombes sur une zone partant de l’emplacement des MiCAs, traversant le chemin de ronde du fort, bouleversant les barbelés et aboutissant sur le glacis entre les saillants III et IV. Les entonnoirs ainsi créés facilitent à l’assaillant l’accès du fossé.
Fond du fossé vers SIV.
Dans le but de contrarier l’action de ces avions on fit appel, d’abord au Fort de Chaudfontaine en lui demandant de tirer au-dessus de notre propre massif avec son 150, en fusant à 100 mètres de hauteur. Au troisième coup, la coupole de Chaudfontaine est enrayée et nous lançons le même appel au Fort de Fléron, qui intervient avec ses deux 150. L’observation de ce tir est effectuée, tant bien que mal, au son, par le Lieutenant DEFECHEREUX, de service à la tour, avec le concours de l’observateur du POC. Pendant tout le bombardement aérien, les coupoles ont été évacuées. Seul un TS restait à l’appareil téléphonique afin de pouvoir parer rapidement une attaque éventuelle d’infanterie, consécutive au bombardement. Le minimum de personnel nécessaire, indispensable au service des coupoles, reste au pied de celles-ci, les autres servants étant mis à l’abri dans une galerie à munitions.
A 16 heures, le bombardement aérien cesse enfin. On profite de cette accalmie pour évacuer les vivres de locaux de détente et les transporter dans la galerie à munitions où les hommes iront prendre leur repas de midi. On procède ensuite à une visite des locaux et à un examen du Fort. Cette inspection nous permet de constater que les coffres battant le front de gorge et la rampe d’accès sont complètement masqués par des éboulis de terre et de gros blocs de béton. Le tir est encore possible dans un secteur réduit vers le saillant I. Les coffres de tête sont lézardés. L’étage inférieur est particulièrement marqué. Les galeries et locaux de détente sont fissurés. De gros blocs de béton se détachent des voûtes des couloirs. La coupole du saillant IV est inaccessible : les parois du couloir se sont écrasées, le monte-charge est détruit ; tout passage y est impossible. Les autre coupoles sont encore intactes intérieurement, mais elles sont recouvertes de gros blocs de béton et de terre. La coupole de 105 ne tourne plus, ses voussoirs sont partiellement à nu, les gouttières sont tordues et un gros bloc de béton est calé entre les tubes des deux pièces. Le manteau cuirassé de la coupole de 75 du saillant IV est mis à nu. La coupole du saillant II a été touchée, elle est calée, la calotte est coincée dans la circulaire. Elle ne peut plus être soulevée. Elle est donc pratiquement hors de service.
Le Brigadier Moreau de POC signale vers 13h des allemands sur le massif. Le lieutenant HOUGARDY se rend au POC et constate effectivement la présence de soldats ennemis rampant sur les glacis entre les saillants I-II et II-III et d’autres se cachant dans les entonnoirs creusés sur le massif. Un d’entre eux se dirige vers la coupole de 75 du saillant III qui vient de se soulever. Il est déjà à 5 mètres de celle-ci. Il a probablement l’intention de la faire sauter. Le Lieutenant HOUGARDY tire au pistolet, l’ennemi riposte à la mitraillette. Le saillant III ouvre alors le feu à boîtes à balles, la MiLg intervient à la grenade et à la mitrailleuse. L’ennemi se terre. C’est à ce moment que, malgré la présence de soldats allemands sur le massif central, l’aviation ennemie reprend son bombardement en utilisant des bombes de gros calibre. Les organes de feu encore en ordre de tir sont à nouveau évacués. Malheureusement, la troisième bombe a éventré la coupole de MiLg et a fait plusieurs victimes, avant que le personnel ait le temps d’exécuter l’ordre d’évacuation. Le soldat spécialiste KEUTER est tué et enseveli dans les décombres de la coupole.
Le Mdl GOSSET est grièvement blessé à la jambe (fracture ouverte). Le Mdl HOLOYE, sous-officier de tir disponible qui s’était offert à seconder le Mdl GOSSET pendant cette phase critique de la défense, est brûlé à la figure et blessé à l’abdomen et à la jambe droite. Le soldat spécialiste de matériel DEVALET est grièvement blessé. Le soldat JAMOTTE est brûlé dans le dos et le soldat ROLAND a l’épaule démise.
L’Adjudant technique MOHIMONT et l’Adjudant PAULET se portent les premiers au secours des blessés.
La coupole de saillant III, quoique éclipsée, est à son tour fissurée, désaxée et calée. Elle est hors de service.
Le bombardement continue à une cadence plus rapide et devient de plus en plus violent. L’ennemi emploie ses plus lourdes bombes. Tout le fort est fortement ébranlé. On s’attend à chaque instant à ce que tout s’écroule… Dans les couloirs des saillants I et IV, les caisses à munitions se renversent et le béton des voûtes continue à se désagréger. Les hommes massés dans le quadrilatère, déjà très exténués, sont visiblement impressionnés. Vu de la tour d’air, le bombardement est aussi très impressionnant. Par moments, sous l’effet des bombes, des gerbes de pierre et de terre d’une cinquantaine de mètres de hauteur s’élèvent du sol. Par moments, le Fort est complètement invisible. Il disparaît dans un véritable nuage de poussière et de feu. La tour, malgré la distance, est fortement secouée et des pierres projetées par l’explosion des bombes retombent jusqu’à elle.
Le bombardement dure ainsi jusqu’à 20h30. On procède ensuite à une nouvelle inspection de tout l’intérieur du Fort. On constate que la coupole du saillant I se soulève et tourne encore, mais qu’elle est masquée. Son tir est rendu impossible par les débris de béton qui l’entourent. A noter que cette coupole était celle qui inquiétait le moins les allemands car elle se trouvait à un emplacement opposé à la direction des attaques principales de l’ennemi et n’avait aucune vue sur ce secteur. La coupole de saillant II ne peut plus se soulever. Celle du saillant III est hors de service et celle du saillant IV est totalement inaccessible et effondrée. La coupole de 105 est recouverte d’une épaisse couche de béton. Ses tubes sont enchevêtrés dans des débris. Elle est complètement coincée. La 150 est intacte intérieurement mais est recouverte de béton. Elle ne peut plus se soulever ni par conséquent se mouvoir en direction. La MiLg est hors de service et une brèche de 1,5m de diamètre dans son manteau bétonné permet un accès direct du massif central au quadrilatère à munitions. Seule une porte hermétique s’ouvrant vers l’intérieur du puits de coupole existe encore. L’ennemi peut donc pénétrer dans le Fort. Il a accès directement au quadrilatère à munitions. Le Fort est menacé de sauter à tout instant. Le POC n’a plus qu’un champ visuel très réduit à cause des débris qui l’entourent. L’état des coffres n’est guère modifié depuis le bombardement précédent, car le dernier bombardement a eu surtout comme objectif les coupoles. Les embrasures permettent encore de tirer dans un secteur réduit vers le saillant I et de battre encore les fronts I-II, II-III et III-IV. Il est toutefois à remarquer que les éboulis de béton et de terre qui remplissent les fossés limitent le champ d’action des coffres et permettent à l’ennemi une occupation facile des fossés. De plus le profil des créneaux de la tour d’air ne permet pas de tenir la partie visible du fort sous le feu des FM.
En outre, l’observatoire du Xhorré s’est vu contraint par l’ennemi, entre 19 et 20h, d’abandonner son poste, après avoir averti le fort et le chef de corps qu’il a détruit ses installations. En résumé, la puissance de feu d’artillerie est rendue nulle, si on ne parvient pas à dégager la coupole de 150 et celle de 75 du saillant I, restées intérieurement intactes. C’est ce que l’on fait pendant la nuit, mais l’ennemi qui occupe les fossés et le massif nous empêchera toute sortie du Fort.
Après cette inspection de l’ouvrage les cryptographes VF du Fort et du Régiment sont brûlés, ainsi que les autres codes secrets. Entretemps le 1er Mdl Pirotte, chef spécialiste de matériel, a démonté le mécanisme du puits de la coupole de MiLg, et l’on établit, dans le quadrilatère à munitions un barrage de sacs de ciment et de sable, en face de cette porte, pour prévenir toute tentative de pénétration de l’ennemi. Toutefois le danger d’explosion du quadrilatère, soit par une bombe, soit par une charge placée dans le puits, subsiste.
Tout le sable et le ciment disponibles dans le fort ont été utilisés, y compris les matériaux prévus pour des barrages éventuels préparés. On évacue également, dans la mesure du possible, les munitions et les charges se trouvant aux environs immédiats de la porte. Ce travail harassant a été exécuté pendant toute la nuit avec du personnel exténué qui n’a pu prendre ainsi aucun repos, auquel il avait largement droit. Un barrage précaire, mais un barrage quand même.
Pendant le transport du sable, l’Adjudant PAULET signale des coups secs et répétés sur le mur extérieur de la cantine de guerre au saillant I. Il semble que l’ennemi, profitant de l’obscurité et des obstacles accumulés dans le fossé, tente de creuser un fourneau de mine. Par un heureux hasard, le tir du coffre de gorge vers le saillant I est encore possible, et l’Adjudant Paulet tire quelques rafales dans cette direction, ce qui fait cesser l’activité ennemie.
L’artillerie ennemie continue toute la nuit à nous bombarder, ce qui empêche toute tentative de sortie du Fort pour tenter de dégager les coupoles encore en état de tirer et les coffres, et augmenter notre champ visuel. Pendant ces courtes accalmies, et afin de prévenir toute tentative ennemie d’intervenir sur le massif et dans les fossés, il est fait appel au Fort de Fléron pour battre le Fort en fusant bas. Malgré cela, l’ennemi manifeste par intermittence une certaine activité, en tirant des rafales de mitrailleuses dans les embrasures. Il lui est répondu dans la mesure du possible. Il est cependant décidé de ne manifester aucune activité spéciale au cours de la nuit et, à part une garde vigilante dans chacun des organes, d’accorder quelque repos à la garnison vraiment exténuée. Malheureusement l’accès des locaux de détente n’offre aucune sécurité, et les hommes doivent rester groupés, soit dans la galerie en capitale, soit dans le quadrilatère ou la galerie à munitions. Le Mdl Van Der Bemden et le soldat Galopin se présentent volontairement pour aller renforcer le personnel des coffres du saillant III.
Sources : Récit du "Fort de Flémalle"
---- Notes -----
Nous vous invitons à visiter le Fort de Flémalle et à visiter son site internet Le Site du Fort de Flémalle.